Une épaule instable se déboîte lors de certains mouvements. La stabilisation est obtenue par la rééducation, ou plus souvent par l’arthroscopie ou la chirurgie.
Qu’est-ce qu’une épaule instable?
On appelle instable une articulation qui se déboîte complètement ou partiellement lors de certains mouvements.
Normalement, l’articulation entre l’humérus et omoplate est stable
c’est-à-dire que les deux surfaces articulaires restent bien l’une en face de l’autre dans toutes les circonstances.
Lorsque l’articulation se déboîte complètement c’est ce que l’on appelle une luxation. Les luxations de l’épaule sont très fréquentes et touchent 2% des adultes jeunes [Hovelius, 1996].
Les luxations de l’épaule passent rarement inaperçues car elles entraînent une déformation douloureuse évidente à la suite d’un traumatisme ou d’un faux mouvement brutal. La remise en place de l’articulation et parfois spontanée mais nécessite souvent l’intervention d’une tierce personne.
Après une première luxation, le risque que l’articulation se reluxe est d’environ 50% [Hovelius, 1996]. L’épaule se reluxe ensuite de plus en plus facilement. C’est ce que l’on appelle les luxations récidivantes.
Il arrive également que l’articulation prenne un peu de jeu sans véritable luxation : c’est ce que l’on appelle des subluxations. Dans d’autres cas l’instabilité se manifeste principalement par des douleurs, c’est ce que l’on appelle les épaules douloureuses instables.
Le terme d’instabilité de l’épaule regroupe les luxations récidivantes et les subluxations et les épaules douloureuses instables.
Pourquoi l’épaule est plus instable que d’autres articulations?
De toutes les articulations chez l’homme, c’est l’épaule qui se luxe le plus souvent [Dodson 2008]. La mobilité de l’épaule est beaucoup plus étendue que la plupart des autres articulations. Cette souplesse articulaire est rendue possible par la forme des surfaces articulaires: la tête de l’humérus a la forme d’une boule qui est posée sur la surface articulaire de l’omoplate qui est plate comme une assiette. La surface de contact représente seulement 30%des surfaces articulaires [Bigliani 1996].
Normalement, l’articulation reste stable grâce à plusieurs facteurs :
– les muscles tout autour de l’épaule équilibrent les forces pour maintenir les deux os l’un en face de l’autre
– la surface articulaire de l’omoplate (la glène) est approfondie par une sorte de ménisque sur toute sa périphérie que l’on appelle le bourrelet glénoïdien
– des ligaments fixés d’un côté sur l’humérus et de l’autre côté sur la glène renforcent la capsule articulaire.
En pratique on distingue 2 types de facteurs d’instabilités:
Les facteurs capsulo-ligamentaires sont les lésions des ligaments et du bourrelet glénoïdien
Les facteurs osseux sont les déformations des surfaces articulaires de l’humerus et/ou de la glène.
L’instabilité est toujours due à des lésions ligamentaires qui peuvent être associées à des lésions osseuses.
Quels sont les différents types d’instabilité?
Il existe plusieurs types d’instabilité suivant le sens du déplacement, la cause initiale et surtout l’existence de lésions osseuses.
Le sens du déplacement, on distingue:
– Les instabilités antérieures pures, de loin les plus fréquentes sont traitées sur cette page
– Les instabilités postérieures pures
– Les instabilités multidirectionnelles c’est à dire des instabilités antérieures auxquelles sont associées un degré variable d’instabilité postérieure. Ce type d’instabilité se voit surtout chez les sportifs de sports de contact (rugby, Handball, lutte, etc.)
La cause initiale de l’instabilité est le plus souvent un accident:
Dans le cas le plus fréquent, le bras est tiré brutalement vers le haut et en arrière comme un tir contré au handball. La tête de l’humérus est alors projetée en avant de l’omoplate.
L’instabilité peut se constituer sans traumatisme chez des personnes particulièrement souples (on appelle cette condition l’hyperlaxité ligamentaire).
Les lésions capsulo-ligamentaires:
La lésion la plus fréquente est un arrachement de l’insertion du bourrelet glénoïdien et des ligaments au bord antérieur de la glène de l’omoplate. C’est ce que l’on appelle la lésion de Bankart.
Il s’y associe presque toujours une distension des ligaments. Cette distension s’accentue avec la répétition des luxations.
Plus rarement les ligaments se détachent de l’autre côté, sur l’humérus.
Un bilan précis de ces lésions est nécessaire avant la réparation pour pouvoir tout réparer dans le même temps opératoire.
Les lésions osseuses:
Les lésions osseuses de l’articulation peuvent se faire d’emblée lors du premier accident ou se faire progressivement à force de se luxer. Ces déformations diminuent la stabilité de l’articulation en plus des facteurs capsulo-ligamentaires. On distingue des déformations osseuses de la glène et de l’humerus.
– Au niveau de la glène, il s’agit d’une usure de la partie antérieure qui n’oppose plus de résistance à la tête humérale qui glisse en avant. Cette usure de la glène est bien visible sur certaines radiographies et sur le scanner.
Au niveau de l’humerus, il s’agit d’une “encoche” postérieure, qui se fait par enfoncement contre le bord antérieur de la glène.
L’encoche postérieure de l’humérus se produit au moment d’une luxation par encastrement de l’humérus sur le bord antérieur de la glène.
Ces lésions glénoïdiennes et humérales peuvent être isolées mais sont le plus souvent associées. Les lésions osseuses doivent être prises en compte dans le traitement chirurgical.
Quelle est l’évolution spontanée de l’instabilité de l’épaule?
Chez les patients non sportifs, l’instabilité peut devenir moins gênante avec le temps car on s’habitue à éviter les positions à risque.
Toutefois, l’instabilité favorise à long terme l’usure des cartilages et l’apparition d’arthrose [Hovelius 2009].
En fait l’épaule ne peut pas se stabiliser spontanément. Plus l’épaule est instable plus elle se luxe facilement. Lorsque l’épaule se luxe en levant simplement le bras ou en dormant, le retentissement devient important sur la capacité de travail et la qualité de vie.
Y a-t-il un traitement non chirurgical de l’instabilité?
Après une luxation de l’épaule il est généralement conseillé de conserver une immobilisation de 3 semaines pour aider à la cicatrisation des ligaments déchirés. La meilleure position d’immobilisation est encore controversée, mais une simple écharpe est encore la pratique la plus fréquente.
Après cette immobilisation ou en cas d’instabilité de l’épaule, il est conseillé de faire de la rééducation. La rééducation n’a pas pour objectif de réparer les lésions capsulo-ligamentaires ou osseuses. La rééducation a une action sur le fonctionnement neuro-musculaire uniquement.
L’objectif de la rééducation est de renforcer la protection de l’épaule par un meilleur fonctionnement musculaire. Ainsi, dès que l’articulation commence à se déboîter, les muscles la remettent en place automatiquement, sans contrainte sur les ligaments défectueux.
C’est ce que l’on appelle la rééducation proprioceptive.
En quoi consistent les interventions de stabilisation?
On peut classer les interventions en deux types suivant qu’il existe ou non des lésions osseuses:
S’il n’y a pas de lésion osseuse:
Il est possible de reconstruire les lésions des ligaments et du bourrelet glénoïdien comme ils étaient à l’origine. Pour que ces opérations soient possibles, il faut que les lésions osseuses soient absentes ou très minimes et que les ligaments soient encore de bonne qualité.
En cas de lésion osseuse:
La butée coracoïdienne consiste à déplacer un petit segment de l’omoplate sur lequel s’attachent les muscles appelés coraco-brachial et court biceps. La butée -avec ses deux muscles- est placée au ras de la surface articulaire de la glène. Cette butée n’est pas un butoir faisant obstacle à la luxation de la tête humérale. Elle stabilise l’épaule essentiellement en construisant un obstacle musculaire devant la tête humérale empêchant son déplacement.
En cas d’enfoncement osseux isolé sur l’humerus il est possible de remplir l’enfoncement par un tendon de la coiffe des rotateurs. Ce remplissement a pour effet d’exclure l’encoche de l’articulation sans avoir recours à un geste osseux.
Ces interventions peuvent être pratiquées à ciel ouvert ou sous arthroscopie. L’avantage de l’arthroscopie est de permettre un meilleur bilan peropératoire car on a une vision facile de l’ensemble de la cavité articulaire et de diminuer les cicatrices. Les réparations capsuloligamentaires arthroscopiques sont de pratique courante depuis plus de 10 ans et ont prouvé leur efficacité. Les dernières études ne montrent pas de différence de résultats entre arthroscopie et chirurgie à ciel ouvert [Fabbriciani 2004, Mohtadi 2014]
La butée sous arthroscopie est encore une technique très récente en cours de mise au point.
Quel bilan faut-il faire avant l’opération?
Le bilan est essentiellement réalisé par l’interrogatoire et l’examen clinique qui permettent de confirmer le sens de l’instabilité, la cause initiale, les circonstances de survenue et la fréquence des luxations.
Un bilan d’imagerie est indispensable pour préciser les lésions capsulo ligamentaires et osseuse. C’est l’arthoscanner qui procure les renseignements les plus précis.
Quand faut il opérer?
De plus en plus d’équipes recommandent l’intervention dès le premier épisode de luxation chez les jeunes sportifs de haut niveau [Arciero 2010].
En cas d’instabilité constituée, il n’y a aucune urgence et l’intervention doit être programmée pour que la période postopératoire soit compatible avec la rééducation.
Y a-t-il des différences suivant l’âge?
Oui, les lésions sont différentes suivant l’âge, ce qui a des conséquences sur l’indication opératoire et sur les résultats.
Chez les patients de moins de 25 ans, les lésions sont essentiellement capsulo-ligamentaires. Le risque de récidive après traitement arthroscopique est assez élevé, particulièrement pour les sportifs de contact (rugby, hand-ball, lutte, etc.)
Chez les patients de plus de 40 ans , les ruptures des tendons de la coiffe des rotateurs surviennent au moment de la luxation dans près de 20% des cas.
Que se passe-t-il après l’opération ?
Une écharpe maintient le bras pendant 3 semaines.
En cas de reconstruction capsulo-ligamentaire, il faut protéger la cicatrisation en limitant les mouvements jusqu’à 6 semaines.
En cas de butée coracoïdienne, la rééducation et l’assouplissement sont débutés plus rapidement car la fixation osseuse par vis est plus solide.
Le renforecement musculaire n’est pas autorisé avant 6 semaines et la reprise des sports de contacts violents à 6 mois.
Quels sont les résultats et les risques de l’intervention?
La stabilisation de l’épaule est obtenue dans grande majorité des cas.
Les échecs de la stabilisation sont:
– Les récidives de luxations
Après stabilisation capsulo-ligamentaire arthroscopique
Après butée coracoïdienne, on a rapporté 83 % de consolidation de la butée, 5 % de reluxation, et 1 % de réopération. Cette technique est la plus sûre et est indiquée même chez les joueurs de rugby [Itoi 2013]
– L’enraidissement de l’épaule est possible par excès de cicatrisation ligamentaire.
-Les douleurs
– Les complications des butées sont rares mais peuvent survenir comme pour toute chirurgie (infection, lésion nerveuse, non consolidation osseuse, résorption de la butée autour des vis)
En cas de récidive de l’instabilité après l’opération
Les récidives de luxation après traitement arthroscopie ont été évaluées entre 4 et 18% [Rossy 2014]. Elles apparaissent généralement au moins 5 ans après l’intervention.
Les facteurs de récidive après arthroscopie sont principalement
– L’âge < 20 ans.
– Le niveau de la pratique sportive (compétition, loisir ou pas de sport)
– Le type de sport pratiqué : contact, armée-contré ou sport « calme ».
– L’hyperlaxité de l’épaule atteinte : hyperlaxité antérieure avec une rotation externe coude au corps >85° ou une hyperlaxité inférieure avec un test d’hyperabduction >20° de différentiel entre les 2 épaules.
– Une lésion osseuse (encoche de la tête humérale)
– Une lésion osseuse du rebord glénoïdien
Ces facteurs de récidive permettent d’évaluer le risque de récidive avant d’opérer.
En cas de récidive:
Il faut refaire un bilan complet pour comprendre la cause de l’instabilité. La cause et la plupart du temps un défaut de reconstruction osseuse qui peut être traité par arthroscopie ou chirurgicalement suivant les cas.
Le taux de réussite des réinterventions se situe entre 73 et 93% suivant les séries [Rossy 2014].
Une notice de consentement éclairé vous informant des complications possibles de cette opération vous sera remise et expliquée par le Dr Dubert en consultation avant la chirurgie. Vous serez également informé(e) des symptômes à surveiller après l’opération pour détecter et traiter précocement une éventuelle complication.
Références:
– Hovelius L, Augustini BG, Fredin H, Johansson O, Norlin R, Thorling J. Primary anterior dislocation of the shoulder in young patients. A ten-year prospective study. J Bone Joint Surg Am. 1996;78:1677-1684.
– Dodson CC, Cordasco FA. Anterior glenohumeral joint dislocations. Orthop Clin North Am. 2008;39:507-518
– Hovelius L, Saeboe M. Neer Award 2008: Arthropathy after primary anterior shoulder dislocation–223 shoulders prospectively followed up for twenty-five years. J Shoulder Elbow Surg. 2009;18:339-347
-Bigliani LU, Kelkar R, Flatow EL, Pollock RG, Mow VC. Glenohumeral stability. Biomechanical properties of passive and active stabilizers. Clin Orthop Relat Res. 1996;330:13-30
-Fabbriciani C, Milano G, Demontis A, Fadda S, Ziranu F, Mulas PD. Arthroscopic versus open treatment of Bankart lesion of the shoulder: a prospective randomized study. Arthroscopy. 2004;20:456-462
-Mohtadi NG, Chan DS, Hollinshead RM, Boorman RS, Hiemstra LA, Lo IK, Hannaford HN, Fredine J, Sasyniuk TM, Paolucci EO. A randomized clinical trial comparing open and arthroscopic stabilization for recurrent traumatic anterior shoulder instability: two-year follow-up with disease-specific quality-of-life outcomes. J Bone Joint Surg Am. 2014
– Boone JL, Arciero RA. First-time anterior shoulder dislocations: has the standard changed? Br J Sports Med. 2010 Apr;44(5):355-60
– Rossy WH, Cieslak K, Uquillas CA, Rokito A. Current trends in the management of recurrent anterior shoulder instability. Bull Hosp Jt Dis (2013). 2014;72(3):210-6
-Itoi E, Yamamoto N, Kurokawa D, Sano H. Bone loss in anterior instability. Curr Rev Musculoskelet Med, 2013 Mar;6(1):88-94.